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Diagnostic psychiatrique par imagerie optique au Japon


"Dans une pièce pleine de psychiatres dans le centre-ville de Tokyo, je me prépare à une évaluation de ma santé mentale. (...) je m'équipe d'une sorte d'étrange bonnet de bain relié à des câbles et parsemé de boutons rouges et bleus. A l'aide d'un interrupteur, les 17 boutons rouges envoient de la lumière infrarouge sur 2 ou 3 centimètres de profondeur dans mon cerveau, elle y sera absorbée ou dispersée par les neurones. Les photorécepteurs contenus dans les 16 boutons bleus récupèrent la lumière qui est renvoyée à la surface. Enfouis dans les signaux, selon les chercheurs qui s'occupent de la machine, on peut y trouver des indices capables de distinguer une dépression, un trouble bipolaire ou encore une schizophrénie d'un état normal."

C’est ainsi que commence un article publié dans le très officiel Nature à propos de la validation officielle d’une technique encore très expérimentale dans les services de psychiatrie japonais : la spectroscopie dans le proche infrarouge (SPIR).

Lorsqu’on parle d’imagerie cérébrale, on pense immédiatement à l’imagerie magnétique avec l’IRM(f), la TEP, la SPECT. Toutefois, un procédé très largement utilisé dans l’industrie intéresse de plus en plus les chercheurs : l’imagerie optique. Les tissus humains sont relativement transparents à la lumière dans la gamme du proche infrarouge (entre 700 et 900 nm) qui peut donc les traverser sur plusieurs centimètres. 01-02-11a.png style="margin: 4px 10px 6px 4px; box-shadow: 1px 1px 10px #555">Toutefois la molécule d'hémoglobine réfléchit la lumière dans cette gamme et son spectre d'absorption est différent selon qu'elle transporte de l’oxygène ou non. L'augmentation d'activité neuronale induit une augmentation du débit sanguin et donc une modification de la quantité d’oxygène présente sur le chemin optique des photons qui traversent la région du cerveau considérée. En mesurant les changements du signal liés à l'absorption et à la diffusion, il est donc possible de déterminer si les régions observées sont actives ou non.

C’est donc en 2009 que le ministère de la Santé a autorisé son utilisation en soulignant la « grande avancée technologique de cette méthode » pour les patients suivis en psychiatrie.

Les psychiatres japonais et leur pionnier, Masoto Fukuda, ne se concentrent donc plus sur la parole de leurs patients mais sur deux régions cérébrales, les cortex préfrontaux et temporaux, impliqués dans de nombreuses pathologies psychiatriques. En faisant lire des listes de mots à leurs patients, ils enregistrent des patterns d’activations cérébrales qui permettraient de distinguer une personne bipolaire, d’une personne dépressive ou schizophrène.

Ci-dessous, différents patterns supposés spécifiques d'un état normal, d'une dépression, d'un trouble bipolaire et d'une schizophrénie

01-02-11b.png

Les psychiatres mettent en avant le faible coût de cette technologie (comparativement à l’IRM), sa souplesse d’utilisation, notamment chez les enfants et les personnes agitées ou très anxieuses. En somme, une technologie qui permettrait de diagnostiquer à tour de bras de nombreuses populations différentes pour pas très cher et sans avoir besoin d'ouvrir la bouche pour autre chose que lire des items verbaux !

Si la SPIR suscite beaucoup d’intérêts, c’est qu’elle possède de réelles qualités qui ne sont niées par personne, à commencer par l’auteur de l’article. Toutefois, il convient de se demander comment un pays peut mettre sur le marché une technique que la communauté scientifique présente encore très largement comme exploratoire.

Le blog Neuroskeptic a listé les publications de Fukuda sur la SPIR :

  • Matsuo et al (2000) n=9/10 elderly depressed/controls
  • Suto et al (2004) n=10/13/16 depressed/schizophrenia/controls
  • Kameyama et al (2006) n=17/11/17 bipolar/depression/controls
  • Nishimura et al (2007) n=5/33 panic disorder/controls
  • Takizawa et al (2008) n=55/70 schizophrenia/controls
  • Uehara et al (2007) n=11/11 eating disorder/controls
  • Suda et al (2010) n=27/27 eating disorder/controls

01-02-11c.png style="margin: 4px 10px 6px 4px; box-shadow: 1px 1px 10px #555">Si l'on fait les comptes, Fukuda a donc publié sur environ 150 patients, certains ayant participé à plusieurs études citées ci-dessus. Plus précisément, on est en droit d'imaginer que le pattern "trouble bipolaire" a été obtenu à l'aide des 17 patients de 2006...., le pattern "trouble dépressif" grâce à 30 dépressifs (dont 9 personnes âgées), pas la peine de souligner le pattern "Trouble panique" obtenu grâce aux données de... 5 patients en 2007.

La spectroscopie dans le proche infrarouge n'a pas eu besoin d'études comparatives avec des golds standards, n'a pas eu besoin d'études randomisées, en double aveugle pour obtenir l'agrément du ministère de la santé japonais. Pourquoi ? c'est une question sans réponse mais qui pourrait susciter des craintes légitimes, tant sur la direction que prend la psychiatrie en recherche de moyens peu couteux et technologiques pour diagnostiquer des maladies particulièrement complexes, que sur le peu d'esprit critique dès lors que l'on habille les études d'imagerie et de méthodes dites modernes !

Sources:

http://www.nature.co...pdf/469148a.pdf

http://www.u-picardi...e_Nad_Chap3.pdf

http://neuroskeptic....s-in-japan.html

10 Commentaires


Commentaires recommandés

Marie.M

Posté(e)

Merci pour cette info qui tombe à pic puisque j'ai justement entendu parler aujourd'hui de la "suite" de cette technique à savoir "l'optogenetics" (qui a reçu le prix 2010 de la prestigieuse revue Nature de "technique de l'année").

Une tite illustration vidéo:

et le lien vers le site de Nature qui en parle: http://www.nature.com/news/2010/100505/full/465026a.html

un futur prix Nobel en perspective...

Piet

Posté(e)

... Je dois dire que j'ai été scotché, là... c'est juste incroyable ! La vidéo montre quand même des choses... incroyables. Je ne sais toujours pas où on va, mais on y arrive vite !blink.gif

DominiqueC

Posté(e)

Ce n'est pas la première fois qu'on est en phase sur une actu chère Marie :)

Merci pour tes liens, j'ai regardé la vidéo et personnellement, je trouve ça assez effrayant. Les limites à la technique sont encore nombreuses (injection d'un virus et comportements primitifs), mais l'idée que l'on puisse contrôler un être vivant avec un simple faisceau lumineux ne me réjouit que très partiellement... D'ailleurs, dans les commentaires, certains ne s'y trompent pas en évoquant le potentiel militaire.

Ce billet démontre bien tout le paradoxe qui existe entre une technique (aussi fabuleuse soit-elle) et son application. La SPIR est incontournable dans l'industrie agroalimentaire, dans l'industrie pétrochimique, dans le textile, etc. Le transfert à l'être humain et ses aspects les plus complexes (la psyché) ne va pas de soi, mais il n'empêche que ça arrive, avec l'accord des autorités sanitaires et sans que personne n'ait à prouver les perspectives avancées par certains chercheurs.

Penser que l'on va pouvoir différencier des profils psychiatriques à l'aide d'une imagerie de surface sur un seul marqueur, c'est complètement invraisemblable. Ce qui me fait craindre le pire, c'est que ce type de méthodologie est en phase avec l'idéologie dominante et les pressions faites pour toujours plus de dépistage précoce avec toujours moins de temps et de moyens.

Anne-MarieCG

Posté(e)

Je plussoie !

cha

Posté(e)

Partagée entre "c'est fou ce qu'on arrive à faire" et "mais quelles dérives ça va encore amener ?"

Piet

Posté(e)

@Cha, oui, c'est dans ce sens qu'allait mon commentaire inutile... La vidéo de Marie est tout bonnement hallucinante...

Evidemment, ca fait peur aussi pour la suite...

Antoine A

Posté(e)

Merci Dominique pour cet article super intéressant. :clapping:

Je crois qu'il y aurait tout une réflexion à mener sur le devenir de la psychiatrie et la place que nous pourrions (ou pas) y jouer...

On parle ici en particulier du diagnostic mais on pourrait évoquer aussi la neuromodulation (stimulations magnétique et électrique transcranienne TMS, tDCS, l'Hemoencephalographe HEG, le biofeedback EEG ou en IRMf, la stimulation cérébrale profonde DBS).

Evidemment, à la lumière des économies de santé, d'une certaine hégémonie médicale et de l'accès délicat à ces nouvelles approches, nous avons des motifs légitimes d'inquiétude.

Mais nous pouvons aussi nous dire, en tout cas c'est mon point de vue, que nous avons de formidables perspectives pour notre profession, si cette dernière sait prendre le train en marche!

A l'heure où la tentation du "tout technique" est bien présente, je suis persuadé que notre regard plus global de la personne est un atout que nous ne pourrons mettre en avant qu'en étant au coeur de ces évolutions et non en marge.

Pour compléter, voici une revue assez ancienne sur la technique qui à mon avis à le plus de maturité dans l'aide au diagnostic: l'électroencéphalographie quantifiée (QEEG).

Au Pay-Bas, aux Etats-Unis, en Suisse, en Allemagne, etc. des psychiatre et des psychologues utilisent cette technique en clinique depuis près de 15 ans...:unsure:

Coburn 2006

DominiqueC

Posté(e)

Merci Antoine.

J'ai pensé à toi parce qu'il semblerait que l'association EEG/SPIR soit encore plus prometteuse. L'acquisition simultanée EEG/SPIR permettrait de caractériser le couplage entre décharge électrique épileptique et réponse hémodynamique associée. Un exemple de thèse sur le sujet:

Couplage de l'EEG et de la spectroscopie dans le proche infrarouge (NIRS) pour l'étude de la fonction et de la maturation cérébrale chez le nouveau-né, en particulier prématuré

Les nouveau-nés, en particulier prématurés, sont fragiles et peu mobilisables. Les techniques actuelles de suivi neurologique de routine sont utilisables au chevet de l'enfant mais ne couvrent pas l'ensemble des aspects de la fonction cérébrale. Il est donc nécessaire de développer des techniques complémentaires, utilisables au chevet de l'enfant et non-invasives, pour accéder aux informations hémodynamiques (telles que la NIRS), mais aussi d'améliorer les techniques existantes (telles que l'EEG).

Dans ce travail, nous avons montré qu'il était possible de faire de la localisation de source EEG chez le nouveau-né prématuré, et donné une première évaluation de l'importance des principaux paramètres du crâne (épaisseur, conductivité, présence de fontanelles) dans la marge de variation de la localisation. L'enregistrement conjoint de l'EEG et de la NIRS a permis d'évaluer la pertinence de cette approche dans l'étude d'activités physiologiques et pathologiques, chez le nouveau-né prématuré, le nourrisson et l'enfant, mais aussi chez un modèle de rat épileptique. De nombreuses informations d'intérêt biologique et clinique ont été extraites de ces études. L'ensemble de ce travail a permis de mettre en évidence l'apport de la résolution temporelle et de la simplicité d'usage de la NIRS par rapport aux autres techniques d'exploration hémodynamique.

Ces résultats ont permis de proposer des pistes de développement de l'usage de l'EEG et de la NIRS à destination du nouveau-né qui permettront d'améliorer les explorations fonctionnelles du cerveau néonatal, afin de perfectionner la prise en charge de ces patients particuliers et de réduire les conséquences de la prématurité.

Le lien vers la thèse: http://www.u-picardi...E8se_Nadege.htm

Guest

Posté(e)

Merci Dominique, c'est super intéressant.

Pour les curieux(ses), il y a des cours sur l'EEG sur le site.

Invité Margaux

Posté(e)

Où en sommes-nous de ces études? Une telle machine peut-elle être exploitable? Car, tout le monde utilise son cerveau de différente manière sans pour autant souffrir de pathologie psychiatrique. Le pire, c'est d'avoir inventer une norme de mentalité, alors que la norme n'offre pas nécessairement le même bien être que peu rencontrer un hors-norme ou un fou... La théorie d'un dysfonctionnement neurologique est du grand n'importe quoi car chaque émotion produit diverses quantités chimiques dans le cerveau plus ou moins applicable à certains mais pas à d'autres. Pourquoi être aussi réductible? Comme si il pouvait y avoir une notice pour la meilleure manière de vivre!

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